J’ai mangé des animaux jusqu’en 1996, jusqu’à mes 18 ans. Et j’ai arrêté complètement quand j’ai trouvé la force de m’opposer à la pression sociale, à ma famille, à la peur du rejet, de l’exclusion. Ca m’a permis progressivement d’aborder le monde avec de nouvelles réflexions que je n’arrivais pas à articuler parfaitement avant ça. Mais ça ne change pas grand chose au problème, finalement.
Ces temps-ci, je suis usé, fatigué par une société composée de psychopathes. Je pèse complètement mes mots. Il n’y a aucune hyperbole dans le fait de dire que je vis dans une société composée de psychopathes. Ca n’est pas de l’extrémisme (qui est un mot fourre-tout qui ne veut plus rien dire), ça n’est pas de l’intégrisme (qui est un mot qui veut dire exactement le contraire de ce pour quoi on l’emploie généralement : intégriste = réactionnaire), ça n’est pas de la violence, je n’ai pas de colère à l’esprit quand je dis que c’est une société de psychopathes, c’est juste un constat. Un psychopathe, c’est quelqu’un qui a un trouble de l’empathie, l’incapacité d’utiliser ses neurones miroir pour ressentir de la compassion envers autrui et d’agir en conséquence.
Alors soyons bien clairs, tout le monde, absolument tout le monde sait qu’un animal doté d’un cerveau a des sensations, des sentiments, une perception individuelle du monde, des facultés intellectuelles, qu’il n’aime pas souffrir, qu’il aime vivre, qu’il a des interactions avec les autres individus, voire des relations sociales riches, et même une culture (il est capable d’apprendre, et il échange des connaissances avec les autres individus de son entourage). Tout le monde sait que les animaux dotés d’un cerveau veulent vivre, aiment être libres, n’aiment pas être mutilés, aiment découvrir, jouer, évoluer au sein du monde. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ça fonctionne aussi quand on parle des humains : Ce sont également des animaux dotés d’un cerveau. (Du moins, c’est ce qu’ils affirment, pour le cerveau.)
Foutredieu, tout le monde le sait.
A peu près tout le monde est également capable de chercher un tout petit peu à s’informer pour se rendre compte qu’on est parfaitement capables de vivre heureux et parfaitement bien sans manger, enfermer et tuer d’autres animaux.
(Et quand je dis « un tout petit peu s’informer », je ne suis pas en train de parler de chercher des sources douteuses, improbables, inquiétantes ou je ne sais quoi… Je parle d’ouvrir un bouquin d’Histoire pour se rendre compte qu’il y a 150 ans, dans son propre pays, la viande était un produit rare, luxueux et exceptionnel, de comparer sa propre consommation de viande avec celle des humains du reste du monde, d’avoir deux ou trois notions de géographie pour savoir que la moitié des habitants d’Inde sont végétariens, et qu’on totalise un milliard de végétariens dans le monde, de consulter les sites de recommandations santé officielles, nationales des USA, du Canada, du Royaume Uni, les plus grandes associations de diététiciens du monde, même les associations de pédiatres, qui expliquent comment suivre un régime végétarien ou végane, à n’importe quelle époque de sa vie, sans risque pour la santé et même en en tirant des bénéfices… Un niveau d’information à peu près basique, quoi…)
Si les humains inséminent, mutilent, enferment, tuent, lobotomisent, électrocutent, broient, égorgent, étouffent, dépècent les autres animaux, ça n’est pas parce qu’ils ont longuement réfléchi au meilleur choix possible, ça n’est pas parce qu’ils ne savent pas tout ça, c’est juste qu’ils préfèrent se convaincre qu’ils n’en savent rien. Parce que ça ne leur retombe pas sur leur petite gueule à eux. Parce qu’ils n’en ont rien à foutre. Parce que ce sont des crevards.
(Oui, alors je le concède, « crevard » n’est pas un mot tout à fait aussi neutre que « psychopathe ». Au temps pour moi.)
Alors sachant tout ça, ça me fatigue de devoir faire -et entendre- du militantisme pour le végétarisme, pour le véganisme, pour l’antispécisme, de devoir user de psychologie, de diplomatie, de patience… de devoir endurer les discours welfaristes et même abolitionnistes, les guéguerres internes entre militants humains… alors que tout ça se place à un niveau d’absurdité tellement dingue…
Si j’assiste un jour à une agression d’un tueur en série cannibale sur une personne plus faible, voilà exactement comment je ne vais pas réagir :
« Monsieur, dites, s’il-vous-plaît, arrêtez de frapper cette personne… S’il-vous-plaît, ne la découpez pas… S’il-vous-plaît, allez… Bon… Ok… Là, c’est trop tard. Je suis obligé de respecter votre choix, je n’y peux rien… Ok, elle est morte, vous pouvez la manger maintenant, ça ne change plus rien… Mais… NON ! Mais n’attaquez pas cette autre personne, ça suffit maintenant ! MAIS ! Vous pouvez manger autre chose, c’est tout aussi bon, et tout aussi sain, regardez ! Regardez ces bons petits plats sans matières humaines… Et c’est écologique ! [NDLR : Je ne sais pas si c'est écologique d'épargner les humains, puisqu'on n'en pratique pas l'élevage. Mais admettons que je puisse utiliser l'argument de l'écologie pour le convaincre d'arrêter.]… Allez, s’il-vous-plait… Mais non enfin, je ne suis pas trop sensible. Je crois simplement que vous ne faites pas la connexion, vous ne vous rendez pas compte que vos victimes souffrent et qu’elles veulent vivre… Je ne vous juge pas, mais… Discutons pendant que vous tuez votre prochaine victime… »
Et d’ailleurs voici aussi exactement comment je ne réagirais pas :
« CONNARD ! CONNARD ! T’ES QU’UN CONNARD ! Si tu tues cette personne, t’es qu’un CONNARD ! T’ES UN TUEUR ! LE FAIS PAS, SALAUD !… Ah, zut, tu l’as tuée quand même… BEN T’ES UN SALAUD !… Quoi, tu vas tuer l’autre aussi ?! DOUBLE SALAUD ! Si tu la tues aussi, t’es UN VRAI GROS SALAUD !… Ah, tu l’as tuée aussi, et tu la manges… ORDURE ! NON MAIS CA SUFFIT ORDURE, ARRETE ! JE CONTINUERAI A T’INSULTER A CHAQUE VICTIME ! »
Voilà plutôt comment je réagirais : J’attraperais un truc lourd et solide et je frapperais, je frapperais, je frapperais jusqu’à ce que le cannibale lâche son arme, que ça lui casse la main ou le bras, ou les jambes, qu’il tombe, qu’il perde connaissance. Et peut-être même que, par prudence (parce que j’ai vu suffisamment de films d’horreur) je continuerais à frapper et je le tuerais pour m’assurer qu’il est vraiment hors d’état de nuire. Et les victimes potentielles pourraient alors s’enfuir.
Non seulement c’est de cette manière que je réagirais, mais c’est également de cette manière que les victimes réagiraient elles-mêmes si elles en avaient la possibilité. C’est de cette manière que n’importe qui réagirait pour sauver sa peau, ou pour sauver la peau d’un innocent.
Ce serait la réaction saine, sensée, juste, parfaitement rationnelle de n’importe qui. Je serais non seulement innocenté, mais même acclamé par tout le monde, si je sauvais les victimes. Et même les victimes seraient considérées comme héroïques si elles réussissaient à s’en sortir d’elles-mêmes de cette manière. Tout le monde serait admiratif qu’on ait pu arrêter ce fou dangereux.
(Et pourtant, un psychopathe, ça se soigne et ça peut guérir, aussi, ça n’est pas complètement de sa faute si c’est un psychopathe.)
Mais voilà, je n’agis pas de cette manière pour les mille milliards de victimes annuelles d’une société composée majoritairement de psychopathes. Parce que ça n’est pas un fou dangereux qu’il faudrait affronter, mais plusieurs milliards de fous dangereux. Parce que je suis lâche, je n’ai pas envie de risquer ma liberté ou ma vie.
Parce que j’ai le sentiment que ça ne suffirait pas, que ça serait contre-productif. Alors que partout dans le monde des opprimés menacés de mort n’hésitent pas à prendre les armes pour se défendre ou vendre chèrement leur peau.
Parce que je fais partie du groupe des oppresseurs, donc je peux me permettre d’être passif puisque je ne suis pas celui qui se fait enfermer/mutiler/tuer, je ne suis pas celui qui est hyper motivé par l’idée d’éviter la torture qu’on m’inflige au quotidien, la mort dont on me menace à brève échéance, motivé par la peur, par la colère pour mettre fin à une frellnick poukram d’injustice de la taille de l’Etoile Noire.
Alors tout ce que je fais, c’est que je débats gentiment avec des milliards de psychopathes, en me tenant la tête à deux mains.