La mort est partout.
C’est une banalité, connue de tout le monde, mais il y a une différence entre savoir vaguement une chose, de manière théorique, éviter de trop y penser, par peur, et le ressentir réellement comme une vérité palpable. Je le ressens. Tout le temps. Toujours. Je le ressens parce que je la vois partout, je la sais partout, et je la vois en moi aussi. Je vois le temps qui défile, je vois la mort toute proche, très bientôt, et que ça soit demain ou dans 60 ans, ça reste très bientôt. Et je vois la vie bien vide avant ça. Je vais mourir, et je me sais mort. Et je sais que tout le monde l’est. Je sais qu’il suffit d’un tout petit rien, un petit coup de malchance, pour y passer. Je sais que ça peut arriver, sans crier gare, n’importe quand, à n’importe qui de mes connaissances. Je sais que ça arrivera. Je sais que ma vie sera parsemée de morts. Elle l’est déjà. Je croise des cadavres d’animaux, régulièrement. Ce sont des vies, aussi. Du moins, c’en était. Et je sais qu’un peu plus loin, là où je ne regarde pas, des centaines, des milliers de personnes meurent constamment, à tous âges, et pour toutes sortes de raisons. Je sais aussi qu’en général les gens font peu de cas de la mort, parce qu’il y en a trop, ce serait trop compliqué. Alors autant ne pas y penser, et banaliser. Et quand on la leur met directement sous le nez, là, finalement, difficile de regarder ailleurs et là, ils réagissent… un peu trop à mon goût, comme s’ils n’y avaient jamais pensé avant. Je sais que je suis mort, je sais que tout le monde l’est, et je sais que personne n’est lié à personne. On meurt pour rien. On meurt seul. Et « La vie continue. », comme on dit, ce qui n’est qu’une périphrase pour « Ta mort, tout le monde s’en branle. ». On n’est rien que quelques petites secondes avant de mourir, et on trouve encore le temps de toutes les gâcher avec des conneries. Et je trouve encore le moyen de me faire voler mon temps par une société ubuesque, à passer mes jours à ne pas être moi, à me dissoudre dans une machinerie humaine absurde et grotesque, calmement, sans hurler, sans me révolter.
C’est tout. Bonne nuit.
C’est exactement ce que je me dis ces temps-ci. Une récente conversation m’a fait formuler la chose de cette façon: « N’ont-ils à ce point aucune conscience d’être mortels pour tenir le travail, aussi médiocre soit-il, en si haute estime? »
J’ai un truc en tête pour Lonesome Cowboy Bill aussi avec ça – même si j’en ai déjà parlé d’une autre façon – mais ça implique de dessiner des choses que je ne sais pas dessiner, donc je n’ai pas encore osé m’y mettre.
Sinon je n’oserais pas aller jusqu’à dire que je ressens la mort, mais je crois en avoir bien plus conscience que beaucoup de gens. Je pense tous les jours au temps qui file toujours plus vite, à ce qui m’attend au bout, au fait les gens vont mourir autour de moi, pour certains (vieux, malades) ont peut l’envisager à moyen terme, pour tous ça pourrait se terminer d’un coup, juste parce qu’un type aura fait une connerie au volant par exemple.
De là à dire que je la ressens, il y a un pas que je ne peux pas franchir, je n’ai connu la mort qu’avec une certaine distance, et/ou en la voyant venir. Si j’y étais plus directement confronté, j’ai beau avoir conscience de tout ça, je ne sais pas si j’y réagirais plus sereinement si ça venait à se concrétiser.
Je ne suis que trop d’accord avec ta formulation. J’ai parfois l’impression qu’ils se forcent à simuler l’enthousiasme pour se motiver, par auto-persuasion, parce que… la vie ne laisse pas le choix. Et je me dis que finalement, quand je parle boulot (ne serait-ce que pour mettre les choses au clair, savoir ce que je dois faire, comment, et tout ça) je donne peut-être la même apparence d’enthousiasme (parce que venir au boulot en montrant qu’on le déteste, ça le fait pas trop)… Je dois même avouer que lorsque j’arrive sur place avec des envies de mort et de fin du monde, le visage « tombant » de désespoir, je me force à esquisser un sourire (ou au moins redresser un peu mes traits) avant de passer la dernière porte qui me sépare des premiers collègues que je vais croiser de la journée (et je déteste être pris par surprise avant cette porte). Le fait est qu’on ne m’a encore jamais dit « T’as pas l’air d’aller bien… », donc ça doit fonctionner.
Ta peur, pour Bill, de dessiner des choses « que tu ne sais pas dessiner », je ne connais que trop bien…
« Je ressens la mort », c’est une façon de parler. La mort, ça ne se ressent pas. Au mieux, on est sur le point de mourir et on ressent son imminence (mais pas forcément, d’ailleurs), ou bien on assiste à la mort (avant, pendant, ou après), directement, d’un animal, d’un individu ou d’un proche et on ressent quelque chose en rapport (mais pas forcément non plus). Bon, mis à part que j’ai assisté à des enterrements, et que j’ai vu des corps de personnes de ma famille sur leurs lits de mort, comme n’importe qui de mon âge, je n’ai pas non plus vécu d’événement vraiment traumatisant en rapport avec la mort (pas encore), donc bon… (Enfin je me souviens quand même d’une fois où j’ai vécu quelques dizaines de minutes d’une situation qui m’a fait sincèrement me demander si j’avais encore un moyen de m’en sortir. Je n’ai pas l’impression d’avoir ressenti vraiment de la peur. Plutôt un fort stress, quelque chose qui pousse à l’action.).
Anecdote : J’ai vu un cadavre de hérisson, la semaine dernière, dans la rue près de chez moi. Je crois que c’était le hérisson que j’avais déjà croisé deux fois, de nuit, et pris en photos. Un cadavre d’animal, surtout sur le bord de la route, ça ne me laisse jamais indifférent. Celui-là m’a pourri la journée. Fin d’anecdote inutile.
Mais de toute façon, j’ai plutôt dit que je ressentais le fait que la mort est partout, pas que je ressentais la mort en elle-même. Bah, ça ne veut rien dire, de toute façon, on s’en fout.