Pensée nocturne, la suite.

Le bonheur… Je ne sais pas si le bonheur existe, je ne sais pas s’il s’agit juste d’un concept inventé pour préserver l’espoir de tout un chacun et éviter le chaos absolu ou la fin de l’humanité. Mais ce que je sais c’est que s’il existe, ne vous attendez pas à ce qu’il ressemble le moins du monde à un état stable et équilibré de satisfaction et de plénitude. Pourquoi ? Tout simplement parce que la satisfaction, la stabilité, c’est la fin, c’est la mort. On ne bouge, on n’avance, on ne cherche à progresser et à se mouvoir que parce qu’on cherche à atteindre un but, plus ou moins lointain. C’est l’insatisfaction et la frustration qui sont le moteur de la vie.

Exemple suprême : Le sexe. C’est le désir, l’excitation, cette forme de frustration de ne pas atteindre une espèce de fusion irréalisable, qui pousse vers l’accouplement et finalement l’orgasme. Et quand l’orgasme est atteint ? Plus rien. C’est fini. On peut dormir.
L’amour, au sens « platonique », lui-même, ne se contente pas d’être, de simplement « être là ». Le quotidien et la répétition l’émoussent. Il a besoin de renouveau, de changements, de projets.

Mais ça vaut pour tout le reste. On se fixe des objectifs, on fait des projets, et on espère, surtout, qu’on en aura toujours, des projets. Même des projets pas forcément épanouissants, même un boulot à la con dans un métier à la con, il faut le faire, respecter les délais, et puis on se prend au jeu, on stresse un peu, ou beaucoup, même si l’enjeu est totalement stupide, il faut y arriver… Et quand on y arrive, aaaah, quel contentement. Enfin du calme. Jusqu’à la prochaine fois. Pas trop longtemps, le calme, sinon on s’emmerde…

Ca vaut pour tout. Les projets personnels, les projets immobiliers, les projets de famille, les projets de vacances, de voyages… Est-ce qu’il y a au milieu de tous ces moments, juste un instant, un seul, où l’on reste, heureux, béat, en extase, bien, à ne plus vouloir rien faire d’autre, plus vouloir essayer autre chose, à imaginer finir sa vie comme ça ? Franchement, si cet instant joyeux dure trop, est-ce que ça ne finit pas par lasser, par énerver, par faire chier, par déprimer ? Est-ce que ça ne finit pas par ressembler à la mort ? Ben si.

Ca vaut pour les combats pour des causes justes. Le jour où le monde sera parfaitement égalitaire, où la guerre, la famine et l’injustice sociale n’existeront plus, où finalement, on n’aura plus la possibilité de faire de grandes choses, d’offrir, de donner, défendre et aider les plus faibles, où tout le monde vivra dans le même état de non-besoin, où plus personne ne pourra plus être Quelqu’un de Bien, où l’on se contentera d’être tous des neutres… Dans cette utopie parfaite, sans drames, sans injustices, où on ne cherchera plus à se battre pour un avenir meilleur, est-ce qu’on ne se fera pas un peu chier ?

Ca vaut pour les sciences… Ce truc qui cherche, cherche, cherche, essaie coûte que coûte de recenser toutes les vérités ultimes, alors que la simple logique, qui est l’essence même de la science, démontre elle-même qu’elle ne pourra jamais atteindre cet absolu, ni même démontrer une seule vérité absolue.

Démonstration simple : Toute vérité, pour être démontrée, doit être décomposée et basée sur d’autres vérités, qui elles-mêmes se décomposent et sont basées sur des vérités, etc… Sauf bien sûr, les vérités arbitraires, qu’on admet, par nécessité, par obligation, sans pouvoir les démontrer, parce que… parce que. La seule vérité indéniable, et donc indémontrable, et qui le restera jusqu’à ma mort étant « J’existe. ». (« J’existe » étant, d’après moi, une vérité qui englobe, finalement, beaucoup de choses… La perception d’un monde sensoriel, et l’écoulement du temps, entre autres. « J’existe. ». Qui se suffit à elle-même, et qui ne démontre pas la « réalité » du monde.)
Autre démonstration : Un élément d’un ensemble (l’homme) ne peut pas observer et maîtriser la totalité de l’ensemble auquel il appartient (l’univers et ses lois), sous peine d’engendrer un système paradoxal et absurde bouclé sur lui-même. (Exemple : Un surhomme, doté de la connaissance absolue, prévoit son avenir. Doté de la connaissance absolue, il décide de mettre en œuvre son libre arbitre pour briser son destin et sortir de cette prévision. Seulement, étant donné de la connaissance absolue, il avait prévu qu’il utiliserait son libre arbitre pour sortir de sa destinée, donc il avait prévu que ce serait cette « autre » destinée qui se réaliserait… Etc.)

La science le sait (Du moins, je l’espère. A moins que le monde de la Recherche ne soit peuplé d’abrutis, tels les Bogdanof… Mais j’en doute.), elle n’atteindra jamais un absolu. (Au point qu’elle nous conduit de plus en plus souvent vers des théories à la fois logiques, absurdes mais obligatoires… J’aurais tendance à croire, moi, qu’elle est en train d’atteindre ses limites…)
Et dans l’hypothèse absurde où elle réussirait à l’atteindre, ce serait la fin de tout. Il n’y aurait plus de secrets, plus de doutes, plus d’incertitudes, plus d’avenir, plus d’intérêt à vivre. La science a besoin de cette frustration continue pour exister.

Ca vaut pour l’art… L’art, c’est l’expression du déséquilibre de l’artiste, son besoin de s’exprimer, de créer, de bouger, de se renouveler, parfois d’extérioriser ses tourments, parfois d’essayer de changer le monde, mais en tout cas de faire quelque chose de nouveau qu’il sait devoir accomplir, sans savoir s’il en aura le temps… Et quand il n’accomplit plus rien, il se recroqueville puis se fane.

Est-ce un hasard si les histoires, légendes, contes, films, dessins animés, romans, BD et que sais-je, mettent des pages et des heures à vous raconter mille crimes, meurtres, enlèvements, tourments, dilemmes, péripéties, dangers mortels, poursuites intenses, combats à l’issue incertaine, fin du monde imminente et autres angoissants événements, pour finalement conclure en une simple phrase (ou trente secondes de pellicule), qu’ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ? A croire que le bonheur n’a aucun intérêt.

Toute la vie est mue par la frustration. Et Boris Vian l’a parfaitement illustré dans L’Herbe Rouge, avec le sénateur et son ouapiti. Le bonheur, l’extase, c’est la mort.

Non, décidément, je ne souhaite le bonheur à personne.

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