Léguman

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Ce texte est un vieux truc que j’avais écrit fin octobre 2011.
Je l’avais enregistré, mais j’hésitais à le publier.

En multipliant mes lectures, ma réflexion et ma connaissance sur beaucoup de sujets se sont largement aiguisées depuis. Et c’est loin d’être fini.
(Entre autre, mon exemple avec l’éleveur de cochons est totalement idéalisé, puisque l’immense majorité des cochons en France « vivent » dans des élevages intensifs, et que les truies sont inséminées par la main de l’homme. Et pour clarifier mes chiffres dans la note en bas de l’article : Tués dans les abattoirs en France par an => 6 millions de bovins, 25 millions de porcs, 6 millions d’ovins, 40 millions de lapins, 1 milliard de volailles (Ordre de grandeur, ça dépend des années. Mais grosso modo, les années 2000-2010.). Dans le monde, 50 milliards d’animaux terrestres abattus par an, et 1000 milliards de poissons pêchés par an.)

Tant pis, je le publie maintenant quand même.
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Ce midi, je mangeais avec des gens, nous étions six dont deux qui ne mangent pas d’animaux (moi compris). Soit 33% de gens qui ne mangent pas d’animaux. C’est un pourcentage de gens qui ne mangent pas d’animaux beaucoup trop important au sein d’un groupe de Français pour que ça ne suscite pas de fortes émotions et un sentiment d’oppression chez ceux qui en mangent. (D’après wikipedia, il y aurait moins de 2% de gens qui ne mangent pas d’animaux en France, contre 5% en moyenne en Europe, 6% en Italie, 8% en Allemagne, 12% aux USA, 40% en Inde -sachant que même les carnivores y mangent rarement des animaux-. Pour se faire une idée de l’aptitude bien française à comprendre l’opinion des gens qui ne mangent pas d’animaux.)
Bref, le sujet est venu sur la table (Oh oh.). J’ai personnellement refusé d’entrer dans un débat (forcément virulent) avec l’individu qui, quelques jours plus tôt, en réponse à quelqu’un qui avait déclaré « Etre végétarien, ça doit pas être facile. », avait, lui, répondu « Je trouve ça surtout con ! » -rire gras- (A quoi j’avais rétorqué, sans un sourire, qu’on pouvait aussi dire l’inverse, ce qui avait plus ou moins clos le débat.); individu dont je savais qu’il n’avait pas les facultés intellectuelles pour entendre mes arguments, et dont je savais également que son invitation au débat était totalement de mauvaise foi. Invitation qui s’est faite avec, évidemment, un argument fort original (que je n’avais certainement jamais entendu au cours de ma vie, vous imaginez bien, après tout, ça ne fait que deux jours et demi que je me suis mis à ne plus manger d’animaux, comme ça, sur un coup de tête). Pour le coup, c’était la chaîne alimentaire. Je me suis donc retenu de répondre quoi que ce soit, et lui ai juste conseillé d’aller faire un tour sur wikipedia et de taper « végétarisme » pour y lire tous les arguments pour le non mangeage d’animaux, si ça l’intéressait tant que ça.
L’autre personne qui ne mange pas d’animaux n’a pas joué le même jeu que moi, il est un peu entré dans le débat, le fou. Et donc au bout d’un certain temps, j’ai quand même été obligé de déclarer :
« Je ne mange pas d’animaux parce que rien ne m’y oblige physiquement, je suis en bonne santé, c’est simple, et voilà, je ne tue plus d’animaux pour manger. » A moins que je confonde l’ordre du débat, et que j’aie dit un peu plus tôt que je suis devenu végétarien le jour où j’en ai eu assez de tuer de animaux ? (Ce qui n’est pas tout à fait vrai, je suis devenu végétarien quand j’ai considéré que j’en étais libre, à ma majorité.)… Mais là n’est pas vraiment la question.
La question c’est que ce « Je ne tue plus d’animaux pour manger. » a provoqué la réaction rigolarde du mangeur d’animaux suivante : « Ah ah ! Ben je comprends mieux ! Si tu tuais toi-même tes animaux ! Mais faut pas les tuer, faut laisser faire les autres ! Tu m’étonnes que tu sois devenu végétarien ! ». Ce qui m’a fait sourire, c’était de l’humour, je n’ai pas plus débattu là-dessus que sur le reste.

Mais par contre, a posteriori, je me suis rendu compte de ce que ça trahissait : Un incroyable aveu de faiblesse. Il était tout simplement en train de me livrer sur un plateau l’un des principaux arguments du végétarien : « Je mange de la viande parce que je ne suis pas obligé de regarder les animaux mourir par ma faute. » . Il n’a pas eu l’air de s’en rendre compte. Mais je me suis également demandé si en fait, ça ne trahissait pas autre chose. Je me suis demandé si ça n’était tout simplement pas du premier degré. Si mon « Je tuais des animaux » n’était pas pour lui une aberration, une absurdité, un « raccourci » qu’il ne comprenait pas.
Un peu comme cette phrase que j’entends parfois, selon laquelle les végétariens « ne mangent pas d’animaux morts » (et que j’ai dû entendre au cours de la conversation de ce midi, d’ailleurs). Je ne mange pas non plus d’animaux vivants, je dois vous avouer. Ca ne me plairait pas plus que de les manger déjà morts. En vérité, je ne mange pas d’animaux tout court. Comme si l’humain était un nécrophage puisqu’il se contente de manger « ce qui est déjà mort »… sans y être pour quoi que ce soit.
Enfin, ce que j’ai fini par me demander, c’est, tout simplement, si tous les carnivores (ou « omnivores », appelez-vous comme vous préférez, je m’en fous) voient bien le lien direct et évident entre « manger de la viande » et « tuer un animal »…

Alors, je vais juste vous rappeler le principe, pour être sûr : Non, on ne vit pas sur un stock d’animaux morts qui ont été tués cinquante ans avant votre naissance (ni même morts naturellement), et qu’il faut maintenant finir, pour ne pas qu’ils aient été tués pour rien. En fait, la vérité, c’est qu’il y a un truc qui s’appelle la loi de l’offre et de la demande, avec du commerce, de l’économie et des tas d’équations auxquelles je ne comprends rien, mais qui donne ceci : Les producteurs de toutes choses s’adaptent à leurs acheteurs. Produire plus que ce qu’on peut vendre, ça n’est pas rentable, en général. Et c’est valable pour la viande. Acheter votre jambon confirme à votre boucher qu’il a eu raison d’acheter un cochon mort cette semaine à l’abattoir qui a eu raison d’acheter un cochon vivant cette semaine à l’éleveur qui a eu raison d’acquérir un couple de cochons et les faire se reproduire il y a 6 mois (contre une espérance de vie de 15 ans à l’état naturel). Pour vous, l’éleveur va faire naître un autre cochon qui sera abattu dans six mois pour satisfaire l’attente du boucher qui sait que vous achèterez votre jambon comme prévu (d’autant plus qu’il a plein de graphiques sur son ordinateur pour confirmer tout ça). Donc oui, le cochon que vous mangez, vous l’avez tué. Vous l’avez tué avec la coopération des quelques autres acheteurs de jambons sur ce cochon, et des gens que vous avez invités à votre dîner qui mangeront du jambon, et de l’abattoir et de l’éleveur… Vous l’avez tué à plusieurs, quoi, mais vous l’avez tué. Vous n’étiez pas obligé. Et vous en tuerez d’autres. Assumez.*

Mon raisonnement vous parait simpliste, ne tient pas compte de la surproduction, des gâchis, etc. ? Alors imaginez que la consommation de viande soit diminuée par deux ou trois, vous pensez vraiment que la production serait maintenue à la même échelle ?
Ceci dit, il est tout à fait légitime d’accuser les non mangeurs d’animaux de causer du chômage dans tout le réseau viandesque (tout comme il est légitime d’accuser l’industrie automobile d’avoir tué les maréchaux ferrants, et les ingénieurs et leurs robots d’avoir licencié des hordes de travailleurs en usine, etc.). Mais ça fait partie de leur plan pour la conquête du monde. Les non mangeurs d’animaux sont des salauds.

(Au fond, en comptant le gâchis, on se rend même compte que l’élevage ne revient pas à tuer pour manger de la viande, mais à tuer un peu plus d’animaux que ‘nécessaire’, simplement pour avoir le luxe de pouvoir manger de la viande quand on en a envie…)

On pourra dire (et entendre, parfois) que le non mangeur d’animaux est faible, hyper-émotif, trop sensible, voire lâche. La lâcheté de ne pas tuer. La lâcheté de trop respecter la vie. J’aurais tendance à dire moi, que c’est plutôt facile de prendre aux autres sans consentement ni compensation ni respect dans le seul objectif de se satisfaire soi-même, et d’autant plus quand il s’agit de prendre la vie; plutôt facile de tuer quand on ne sait absolument pas ce que mourir veut dire, parce qu’on ne l’a pas vécu soi-même, et parce que, éventuellement, on a soi-même peur de mourir; plutôt facile de tuer en refusant d’y penser. Plus lâche d’accepter de tuer que d’accepter de mourir. Et plus lâche d’accepter de tuer que d’accepter une légère contrainte, celle de vivre sans tuer.

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* A titre d’exemple, pour se faire une idée :
Wikipedia – Viande
Planetoscope – Consommations mondiales
6 000 000 de vaches produites par an en France (Je simplifie légèrement : production grosso modo égale à la consommation.). Donc en moyenne, pour lui seul, un Français tue 1 vache (sans différencier veau/vache/boeuf) tous les 10 ans (pour un français moyen, enfants et végétariens compris…). Et forcément plus pour les plus petits animaux : 1 mouton tous les 10 ans, 1 cochon tous les 2 ans et demi, 12 poulets par an, 1 pintade tous les 2 ans, etc.
9 animaux tués par an et par personne dans le monde, sachant que la France consomme deux fois plus de viande que la moyenne mondiale. J’ignore si ça comprend les poissons (Je ne pense pas. Libre à vous de compter les vôtres. C’est déjà plus facile.).
Dit comme ça, ça parait peu finalement. Mais prenez donc votre couteau et allez égorger votre cochon, même tous les deux ans… Et arrêtez de perdre votre temps avec vos animaux domestiques…

On pourra chipoter sur mon histoire de cochon. Celui que je tue, ce n’est pas celui que je mange, mais l’équivalent prévu. Soit. Disons qu’en l’achetant (ou en le mangeant, si on m’offre du jambon) je tue l’équivalent du cochon que je suis en train de manger (Je tue même largement plus que cet équivalent, en comptant les pertes non-négligeables tout au long de la chaîne élevage-abattoir.). Au contraire, en me déclarant ouvertement végétarien, en évitant qu’on me propose (à nouveau) du jambon, j’épargne un futur cochon. Par contre, en me croyant secrètement végétarien, et en jetant discrètement le jambon qui se trouve dans mon assiette par ma faute, je suis juste un gros con.

J’assume également le fait qu’être végétarien ne me rend pas parfait, et qu’il m’arrivera encore de tuer par négligences, oublis, erreurs, fainéantises, et divers liens complexes de causes à effets qui m’échappent. Mais en étant végétarien, je limite les dégâts.

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