Les drames, les accidents, les événements choquants, imprévisibles, bouleversants ont aussi leur intérêt dans une vie. On ne peut pas remplir une vie avec uniquement des événements intensément heureux… Mariages ? Naissances ?… Et quoi d’autre ? Le reste, en tout cas, n’est pas accessible à beaucoup de monde. Non, on ne peut pas remplir une vie que d’événements intensément heureux. Surtout que plus on les multiplie, plus ils perdent de leur intensité. On finit par s’y habituer, s’en lasser. Pour remplir une vie, il faut aussi des drames, des événements choquants négatifs qui créent la surprise, l’impensable, la colère, l’angoisse, l’émotion, le changement. Et même la souffrance. La souffrance a aussi son charme, elle ancre dans quelque chose qui ressemble à du réel, donne l’impression d’exister, de se différencier, de se définir. Ou d’avoir plus vécu que les autres. On peut en tirer une certaine fierté, de la beauté. Un certain pouvoir aussi, quand on réussit à la faire entrevoir aux autres, les faire réagir, les faire s’apitoyer sur soi, ou les faire nous admirer. Les attirer à soi, en somme. (Bien sûr, il faut déjà y survivre.)
Même artistiquement, la souffrance est associée à quelque chose de positif. Les films, les livres tristes, qui réussissent à provoquer la tristesse sont encensés, comme si… Oui, comme si le public prenait du « plaisir » à ressentir cette tristesse. Le plaisir d’exister. On peut faire preuve d’un certain snobisme devant les « happy end ». « Les happy end, c’est pas la vraie vie… Moi, je vaux mieux que ça, j’aime bien les films et les histoires tristes, même si c’est dur. »… Hé oui, la tristesse, la souffrance est ressentie comme un « divertissement », une valeur positive, qu’on apprécie de voir dans une oeuvre, ou même dans un documentaire. On aime être au courant de la souffrance. La partager, pour se prouver… qu’on en est capable ? Pas forcément pour agir, non, juste pour ressentir.
La vraie horreur, c’est peut-être juste l’absence. Une vie d’absence, sans bonheurs ni malheurs.
Je n’assimilerais pas la tristesse, ou du moins l’émotion, qu’on peut ressentir face à une œuvre, à une souffrance. C’est plus une esthétique, peut-être… Comme l’esthétique du laid, de l’horreur. Enfin je sais pas, je n’ai jamais pleuré devant un film (sauf Roger Rabbit parce que j’étais tout petit et que j’ai eu peur).
Et si plaisir il y a à la tristesse, c’est peut-être de se dire que c’est horrible mais heureusement on est chez soi au chaud devant sa télé donc finalement tout va bien pour nous, on est heureux.
Je ne sais pas… J’ai déjà pleuré devant un film (ou une série, enfin un truc vidéo) ou un livre. Sans doute pas souvent, mais je sais que ça m’est arrivé. Je ne prenais pas ça comme une tristesse confortable, c’était surtout « triste » soit parce que ça se référait à quelque chose de réel, une histoire vraie ou une histoire qui aurait pu se passer, soit parce que ça me touchait directement, je pouvais me mettre en comparaison avec le personnage. C’était donc de la tristesse sincère. (Enfin il a dû aussi m’arriver de pleurer aussi pour des fictions totalement fictives, sans aucun rapport avec moi, mais ça devait être plus furtif, à peine une petit larme, pas vraiment douloureux finalement.) Mon meilleur exemple est « Des Souris et Des Hommes ». Je l’ai lu trois fois, à l’adolescence, et j’ai pleuré à chaque fois. Et pourtant j’ai eu envie de relire… Les deux dernières fois, j’ai sans doute dû un peu « forcer », pour chercher à pleurer et me souvenir pourquoi j’avais pleuré la première fois… Enfin, je pense.
Il m’est aussi arrivé de ressentir une espèce de curiosité bizarre et honteuse, face à des drames, qui me touchaient pourtant. Ou de ressentir une sorte de plaisir à éprouver de nouvelles émotions « négatives ». Pas toujours, et pas constamment, mais parfois. Et même de découvrir que j’étais sensible à certaines choses. Et pourtant, ça n’avait rien d’agréable, en vérité. Mais je ne sais pas, la souffrance, parfois, c’est une espèce de substance étrange, qui peut avoir son charme, ou au moins son intérêt.
On peut aussi en tirer une certaine fierté, comme celle d’un ancien combattant, « Moi, j’ai plus souffert que toi ! », « Non, tu ne peux pas comprendre ma douleur, tu ne sais pas, tais-toi… », ou « Ah, de mon temps, les enfants étaient battus ! Ca, c’était la vraie vie ! », enfin ce genre de choses…
Tiens, mon deuxième paragraphe est hors sujet, tu parlais seulement de la tristesse des oeuvres… Tant pis, je laisse.