Intelligence collective

Le problème du carnisme est simple à pleurer :
- Tous les mangeurs de viande ¹, quand ils sont laissés trop longtemps à leur introspection, savent qu’il y a un truc qui cloche et qu’il faudrait penser à arrêter.
- Le mangeur de viande qui s’interroge commence à s’inquiéter, il regarde autour de lui, et il voit un autre mangeur de viande. Ça le rassure : Si son voisin mange de la viande, c’est que ça ne doit pas être si grave que ça.
- Si d’aventure le mangeur de viande continue à se poser des questions, il peut faire part oralement de son inquiétude : Son voisin se charge alors de lui fournir toute la déculpabilisation dont il est tellement demandeur. L’argument n’a même pas besoin d’être rationnel, il suffit que le voisin y mette de la conviction. Une voix réconfortante, qui lui évitera ainsi tout changement de ses habitudes, toute remise en cause, et toute prise de conscience psychologiquement douloureuse.
(Notons que le plus souvent, l’argument se résume à « Regarde, tout le monde fait pareil, donc ça doit pas être si grave que ça. ». On pourra aussi trouver des choses comme « De toute façon, tous ceux qui disent le contraire sont des menteurs, ne les écoute pas. », ce qui est le summum de l’argument convaincant, puisque tout contre-argument s’invalide lui-même du fait qu’il est contre-argument. Ou encore « Non, on ne peut pas faire autrement, c’est impossible, n’essaie même pas. Cherche pas. ».)
- A nouveau convaincu et paré de nouveaux « arguments », le mangeur de viande peut désormais travailler à convaincre tous ses voisins périodiquement pris de doutes (des doutes douloureux car culpabilisateurs, et terrifiants car éventuellement contagieux), en renforçant donc au passage sa propre conviction. (Heureusement, la tâche n’est pas trop difficile, puisque le voisin ne demande lui-même qu’à être convaincu.)

Moralité : Tout le monde fait pareil parce que tout le monde fait pareil. L’habitude entretient l’habitude. Aucun autre critère, quelle que soit sa pertinence, ne peut entrer en compte.

Et on retombe sur la grosse difficulté, pour celui qui voudrait faire tomber ce système abominable, difficulté qui nécessite de se battre contre le plus terrible défaut de l’être humain : Réussir à convaincre chaque individu qu’il est capable de réfléchir et choisir, vraiment et sincèrement, de lui-même, indépendamment de toute influence.

Le plus amusant, c’est qu’on peut remplacer « manger de la viande » (ce qui signifie donc « tuer inutilement », hein, je vous le rappelle) par n’importe quel comportement généralisé aberrant, répugnant et innommable. Une fois qu’on a réussi à le faire admettre par la majorité de la société, insidieusement, graduellement ou même de force (par la loi, la religion, etc.), il suffit de laisser faire la force de l’habitude et le poids de la collectivité pour qu’il se nourrisse de lui-même (En tout cas, tant qu’on ne porte pas préjudice à un groupe qui pourrait finir par prendre conscience de son oppression et qui aurait le pouvoir de se révolter.). C’est même déprimant tellement ça en est banal. (Je vous laisse chercher des milliers d’exemples vous-mêmes.)

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Note Bonus :

Une autre point tout à fait fatiguant, c’est de voir à quel point, dans un débat carniste <=> végé, les carnistes ont besoin d’aller chercher leurs arguments à tous les coins de l’univers, sans avoir besoin de cohérence particulière entre ces arguments (au point qu’on pourra trouver un carniste se défendant par un argument, et un autre carniste se défendant par l’argument inverse), alors que… lorsqu’on fait un choix réfléchi, parfaitement réfléchi, on le fait pour une unique raison, et on s’assure que cette raison est valable. Au mieux, d’autres arguments secondaires viennent s’y ajouter qui ne font que rendre le choix plus agréable… Mais le choix est fait pour une bonne et unique raison.

- Le choix du végétarisme éthique se fait pour ne plus tuer d’animaux, des êtres sensibles, existants, qui ne veulent pas mourir. C’est un choix possible parce qu’il ne menace pas la santé. C’est un choix cohérent puisqu’il ne tue pas indirectement plus d’animaux ² qu’il n’en épargne, puisque son bilan écologique est plus que positif par rapport au choix de la consommation de viande. Son impact écologique pourrait donc le remettre en cause, mais ça n’est pas le cas. Il n’a donc qu’une raison, qu’un objectif, parfaitement clair, parfaitement défini, et qui le justifie pleinement.

- La consommation de viande, elle, n’a pas de raison première avouée et honnête, elle n’est qu’un tissu d’excuses disparates, sans lien entres elles (et facilement réfutables). Aucun carniste n’est né végétarien au milieu d’une société végétarienne, pour se retrouver soudain dans une situation telle que la seule réponse possible, qui lui soit venue sans influence extérieure, aurait été « Hé bien, après une intense et longue réflexion et l’évaluation de tous les paramètres pour atteindre mon objectif, il me semble que désormais il n’est pas possible de faire autrement que de manger de la viande. » (Le dit objectif pouvant être, par exemple, sa survie ou le fait de tuer le moins possible d’individus.). Non. Le carniste naît dans une société carniste où la consommation de viande, dont l’élevage, est la norme établie et acceptée depuis des temps immémoriaux, et qui n’a donc aucun besoin d’être justifiée rationnellement et éthiquement.

Pourtant, le carniste parfait, tout à fait cohérent et honnête, n’aurait qu’une seule chose toute simple à répondre à un végé pour mettre fin à toute argumentation : « Prendre en compte les intérêts d’aucun animal, ni leur besoin de liberté, ni leur désir de vivre, ni leur peur de la mort, ni leur sensibilité, ne me sert à rien, ne m’apporte rien, je n’ai pas envie de le faire, je ne l’ai jamais fait, et je ne le ferai jamais. ».
Aucun carniste n’a jamais donné une telle réponse.

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¹ Sauf les inuits… C’est bon, on le saura. T’es inuit ? T’en connais beaucoup ? Y a une surpopulation mondiale d’inuits ? Le modèle économique mondial est basé sur les inuits ?… Non, alors ta gueule. Il y a 100 000 inuits dans le monde, pas 7 milliards.
² Les humains sont également des animaux. Leur vie est aussi menacée par la consommation de viande, et non pas par la baisse de sa consommation.

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