Le péché sempiternel

Je ne crois pas en Dieu (ou si Dieu existe, alors c’est moi).

Mais s’il y avait un Dieu, un Dieu qui testerait le libre-arbitre, la capacité des individus à choisir entre le Bien et le Mal, alors à sa place, j’aurais fait un petit test simple. J’aurais créé un mal évident à ne pas commettre, un mal évident et simple que tout le serait capable d’éviter sans aucun effort. Un mal que tout le monde serait également capable de reconnaître et identifier avec le strict minimum de réflexion et d’empathie. Et j’y aurais juste ajouté une petite subtilité : Je n’aurais donné aucune règle explicite écrite ou orale, aucun ordre pour éviter de commettre ce mal. Je l’aurais laissé libre à tout un chacun, et j’y aurais même rajouté suffisamment de tentations et d’astuces pour se déculpabiliser de ce mal avec facilité, je l’aurais intégré dans la Norme, dans l’Ordre des Choses. Un mal identifiable, et aussi facile à commettre qu’à éviter. De sorte que oui, chacun aurait été pleinement libre de choisir ou non de commettre ce mal.

Si j’avais été Dieu, je n’aurais pas posé une Pomme en donnant l’Ordre tonitruant et menaçant de ne pas la manger. Ou serait le libre-arbitre si toutes les règles sont déjà explicitement données ? « Vous avez le choix entre obéir à ces règles, ou être inévitablement châtié par une souffrance éternelle qui dépassera infiniment le plaisir furtif que vous pourriez avoir à transgresser ces règles. » ?… Ça n’aurait aucun sens. N’importe quel idiot, même le plus cruel, le plus vil et le plus égoïste, choisirait la seule option raisonnable. Seul un fou choisirait l’inverse, or un fou n’est pas responsable, n’a pas de libre-arbitre, ne peut pas être jugé.
Non, si j’avais été Dieu, je n’aurais pas écrit de commandements. Et probablement aucun texte non plus. Si j’avais été Dieu, dès le départ, j’aurais remplacé la possibilité de manger la Pomme par autre chose, j’aurais laissé visible bien en évidence la conséquence néfaste de l’acte, et j’aurais simplement dit : « Faites comme vous voulez, absolument rien ne vous l’interdit. Vous ne perdrez rien. Personne ne vous jugera jamais. ».

N’importe quel Dieu capable d’inventer le libre-arbitre, le péché, la tentation, la damnation et l’Enfer serait suffisamment tordu et sournois pour imaginer un truc pareil.

Cette entrée a été publiée dans Chaos, Grandissime, Les personnes qui ne se mangent pas.. Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

8 réponses à Le péché sempiternel

  1. Luisao dit :

    Je crois qu’il n’est justement pas question de « tester le libre-arbitre ».
    D’ailleurs, « Dieu » n’écrit rien. Les récits auxquels tu fais référence sont des paroles d’hommes sur ce qu’ils ont ressentit et compris de la nature humaine, de l’univers qui les entoure et de leur rapport à la transcendance. Il n’est d’ailleurs jamais question de « Pomme »!
    La « menace » associée relève à mon sens de la mise en garde: tu peux manger mais en sachant que dès lors, la mort aura prise sur toi. En cela, la conséquence néfaste de l’acte est bien laissée visible.

    « Faites comme vous voulez [...] Vous ne perdrez rien. »
    Le fait est que du moment que l’Homme fait un choix, il ne peut pas « tout » avoir. ça ne peut pas être vegusto ET dessert. C’est précisément en s’emparant de ce fameux « fruit » que l’Homme entre dans le monde de la dualité et du jugement. Il devient juge de lui-même et des autres, et c’est cela l’ »enfer », c’est à dire, notre condition à tous.
    Ce « péché » est dit originel car fondamental, car il est la racine de tous les autres. L’orgueil, la prétention égotique à se placer au centre du monde et à décider de ce qui est bien ou mal (nécessairement relatif car ce qui est un bien pour moi sera peut-être un mal pour mon voisin).
    Il est aussi dit « originel » car ce tableau mythique veut décrire des mécanismes qui ont lieu à chaque instant et à tous les niveaux du cosmos (en tant qu’il est une « création du mental humain »).

    Aborder ce genre de récits frontalement, leur donner une consistance historique ou morale qu’ils n’ont pas, n’est à mon avis pas une bonne idée. Mais paradoxalement, les intuitions de ta critique remettent dans le sens de la marche un mythe auquel on fait souvent dire autre chose que ce qu’il ne dit.

    • Personne dit :

      Si je ne me trompe, ta réponse est déiste, pas religieuse.
      Le religieux trouve dans la religion des préceptes à suivre, dictés (ou conseillés) par son dieu. Des choses qui sont « morales » et des choses qui ne sont pas « morales ». Des interdits, des tabous. Des péchés capitaux, des péchés mortels, des péchés à confesser pour se faire absoudre.
      Donc tu es hors sujet.

      • Luisao dit :

        Libre à toi de penser que je suis hors sujet :)
        La définition que tu donnes du « religieux » est pour moi celle du « superstitieux ». Il y a heureusement à l’intérieur même des religions instituées (et bien-sûr en dehors) des approches bien plus profondes et plus fines de ces questions. Les premiers chapitre de la Genèse sont parmi les plus glosés. Pourtant c’est le plus souvent sur une lecture très littérale que croyants et athées s’affrontent…

  2. Von Gornov dit :

    C’est vrai que ce serait logique… Faire le bien par superstition, ça n’est pas une « bonne » raison. Enfin, faudrait savoir ce qui est bon ou pas…
    Imagine que Dieu soit du bord opposé. Il pourrait très bien considérer que les meilleurs sont ceux qui ont fait en sorte de tout faire pour leur propre intérêt, bien qu’il les ait mis à l’épreuve en les rendant capables d’empathie. Ils auraient eu le mérite de faire fi de ce fardeau.

    • Personne dit :

      Ca ne serait pas faire le « bien » alors. Le « bien », ça se définit par « ne pas faire à autrui ce qu’on n’aimerait pas qu’on nous fasse ». L’individualisme, ça serait la règle à suivre voulue par ce dieu, mais ça ne serait pas la définition du « bien ».
      A notez que c’est la philosophie des satanistes. En fait, les satanistes ne vénèrent pas Satan en tant que tel, mais en tant que symbole métaphorique du libertarisme absolu. Les satanistes LaVeyens en tout cas (La philosophie prônée par Anton Szandor LaVey… Bon, là, j’avoue, je m’aide un peu de wikipedia, je me souvenais plus du nom.). Chacun doit s’épanouir et se réaliser par lui-même en faisant absolument tout ce qu’il désire, en se libérant de toute contrainte. Il n’y a pas de désir absolu de « faire souffrir » ou « faire le mal », mais en tout cas, il n’y a aucun interdit. Du moins, si j’ai bien compris. Enfin d’après ce que j’ai compris, mais peut-être que j’interprète mal. En tout cas, ça place l’individu au premier plan avant de penser au bien être général maximum.

      • Luisao dit :

        Est-ce à dire que beaucoup de nos contemporains seraient LaVeyens sans le savoir ? Intéressant.

        • Von Gornov dit :

          Oui, la « morale » libérale dominante penche clairement vers le satanisme, au sens LaVeyen.
          Je n’ai jamais creusé vraiment ce qu’en a dit LaVey, je ne sais pas dans quelle mesure cette « philosophie » suggère de tenir compte de l’autre.

          • Luisao dit :

            A lire quelques notices wikipédia, LaVey et son église semblent être au départ une blague qui a fini par se prendre au sérieux. J’ai l’impression qu’il se fonde sur une mauvaise expérience et une compréhension très superficielle du christianisme. Pour le reste il semble exalter l’Ego, en recyclant A.Crowley pour le decorum.
            Sur le fond, ça me parait très conforme à l’air du temps.