Archives quotidiennes : 23/04/2011 à 22H15

Verbiages   

C’est emmerdant. Aujourd’hui, j’ai reçu un livre commandé récemment, qui s’appelle « I am a strange loop. » de Douglas Hofstadter. Je l’ai commandé parce que je connaissais l’idée directrice, et je savais que ça m’énerverait, mais je ne voulais pas m’énerver … Continuer la lecture

C’est emmerdant.

Aujourd’hui, j’ai reçu un livre commandé récemment, qui s’appelle « I am a strange loop. » de Douglas Hofstadter. Je l’ai commandé parce que je connaissais l’idée directrice, et je savais que ça m’énerverait, mais je ne voulais pas m’énerver avant d’avoir tout en main pour juger. L’idée directrice, c’est que la conscience est une chose qui s’observe elle-même, formant un cercle vicieux, une sorte d’effet Larsen. L’idée n’est pas mauvaise, puisque la conscience est effectivement quelque chose qui s’observe soi-même, donc quelque chose d’absurde, une « singularité », comme il dit. Sans être une réponse définitive à l’une des « grandes questions de l’univers », c’est au moins une idée amusante.
Sauf que ça vient d’un chercheur logisticien informaticien, et que donc, logiquement, ça lui suffit, c’est une réponse.
Donc, comme j’avais le livre entre les mains, que j’étais pressé, mais que ça m’énervait déjà, j’ai lu les dernières pages pour avoir directement la conclusion.
Sa conclusion : La conscience est une illusion engendrée par la matière. « Je » n’existe pas.
Du moins, si j’ai bien suivi. C’est en anglais, j’ai lu que les dernières pages, et pour être parfaitement en accord avec moi-même, il va falloir que je lise tout depuis le début, en comprenant tout… Et je sais d’avance à quel point ça va m’énerver. (J’en ai déjà le crâne qui « grésille », comme chaque fois dans ce genre de cas.)

Alors, je livre quand même ma réaction, forcément malhonnête puisque j’ai pas lu le bouquin, mais quand même, à chaud…

Déjà, aboutir à la conclusion que l’esprit est une illusion, créée par la matière, c’est wahou… Bon, personnellement, j’ai pas eu besoin d’écrire un bouquin pour arriver à cette conclusion avant d’avoir dix ans, c’est un peu une des premières hypothèses qu’on pose quand on réfléchit au sujet, mais on n’est pas non plus obligé de s’arrêter là… Mais lui, c’est un grand penseur qui a écrit un bouquin, et qui fabrique des ordinateurs, alors il a sûrement raison. Il parait que c’est une conclusion qu’on refuse, parce qu’elle est inadmissible, elle fait trop peur. Personnellement, j’accepte parfaitement l’idée de ne plus être un jour, et je ne vois pas en quoi c’est plus effrayant… (J’accepte même l’idée que ma raison et ma sensibilité soient purement déterministes, alors bon…)

De deux, comparer les ordinateurs à l’esprit humain, c’est un peu oublier que l’esprit humain a mis quatre milliards d’années pour se développer à partir d’un processus relativement lent et complexe, utilisant des milliards de composants (les êtres vivants), tandis que l’ordinateur a été créé en 50 ans par une espèce qui s’est contentée de copier tant bien que mal ce qu’elle observe de ce fameux cerveau. Ca n’est donc pas tout à fait le même processus de conception. Je ne suis pas sûr qu’on puisse arriver au même résultat.

De trois, même un ordinateur extrêmement complexe capable de créer, de discuter, de penser, de mener les mêmes réflexions que les miennes ou les mêmes réflexions que Douglas Hofstadter et même écrire un bouquin pour nous les faire partager ne me convaincra ou ne me démontrera jamais qu’il existe autant que moi. Douglas Hofstadter lui-même ne peut pas me démontrer qu’il existe autant que moi. Je suppose simplement, arbitrairement, que c’est le cas. (J’ai sans doute tort puisqu’il pense le contraire.). La différence principale entre le travail de mon cerveau et le travail d’un ordinateur est celle-ci : L’ordinateur calcule, traite des infos de manière tout à fait logique, et renvoie ses résultats, mais ne donne aucun SENS à ces informations. L’ordinateur est un ensemble de composants physiques, de micro interrupteurs, qui stockent ou déstockent de micro tensions, qui ajoutent ou retranchent des bits d’informations, qui, en augmentant la complexité, par des tas d’opérations booléennes, en arrive à faire des multiplications, des divisions, et qui, au final, renvoie des informations, sous forme visuelle, qui n’ont de SENS que pour NOUS. Dans l’ordinateur, il n’y a que des charges électromagnétiques, un ensemble de choses physiques, il n’y a aucune information en tant que telle. Elles ne prennent une valeur d’information que pour les utilisateurs de l’ordinateur. Si j’écris « Je suis un ordinateur, j’existe. », dans un fichier texte, ça ne veut pas pour autant dire que mon ordinateur existe. Si j’écoute une fichier audio de voix synthétique qui me dit « Je suis un ordinateur, j’existe. », je ne serai toujours pas convaincu. Et le jour où un androïde me dira « Je suis un androïde, j’existe. », hé bien, permettez-moi de vous dire que ça ne sera toujours pas une preuve pour moi. De même, un ordinateur, même pourvu d’une caméra, ne VOIT pas. Il reçoit des photons qui provoquent des courants électriques qui engendrent d’autres courants électriques, qui pour nous ont valeur de traitement. Lorsque l’ordinateur renvoie une image qu’il a filmée, à aucun moment, il ne VOIT. La seule personne qui VOIT, c’est l’humain derrière son écran. De même, un robot mobile pourvu de caméras qui lui permettent d’éviter les obstacles ne VOIT pas. Il n’est qu’un ensemble de traitements d’informations programmés par l’homme qui permettent à cet objet « inanimé » de se déplacer selon les lois qu’on souhaite. Aucune image ne se « forme » dans son « esprit ».
Malheureusement, effectivement, pour un humain, le problème devrait être le même. La réflexion est le produit du travail des neurones, qui stockent et déstockent de l’électricité (Je n’utilise peut-être pas les termes exacts, mais on s’en fout, ça n’est pas le problème.). Oui, un raisonnement n’a des bases que matérielles. Non, je n’ai pas plus de raisons d’exister qu’un ordinateur. Et non, je n’ai pas de preuves que les autres humains « existent » (de la façon dont je l’entends). Un humain ne devrait être qu’un ensemble de réactions chimiques plus ou moins compliquées qui entraînent sa survie et sa reproduction. Sans que nulle part, il n’y ait d’esprit. C’est tout à fait imaginable.
Sauf que, je suis désolé de le dire, mais ça n’est pas mon cas. Moi, j’existe. Moi, j’ai un univers interne créé à partir de rien, qui correspond à chacun de mes sens, et qui représente chaque information dans ces dimensions. Ces dimensions qui n’existent nulle part ailleurs que dans mon esprit. Et j’ai également un observateur qui est donc là pour observer ces dimensions. Et même, qui les émule, sans que les sens s’en mêlent directement, par exemple quand il rêve, où quand il s’entend penser. Cet observateur, c’est moi. Ca n’est pas logique, c’est absurde, c’est impossible, mais c’est la vérité. J’existe.

De quatre, dire que la conscience est une illusion, créée par la matière, c’est admettre que la matière, elle, au moins, existe. (En gros, c’est du simple matérialisme, quoi, comme tout bon scientifique qui se respecte…). Le seul problème, c’est que le mot « exister » n’a aucune définition. Vous pouvez vérifier dans le dico : « être », « exister », etc. n’ont pas de définition, juste des synonymes qui s’appellent les uns les autres. Et pour cause « être » est simplement le premier terme qui doit être admis et à partir duquel on peut définir le reste. Et « être », c’est juste une conséquence de « moi »… Moi, j’existe, et le reste vient ensuite. Si je n’existe pas, je ne suis même pas capable de poser le concept « être », de raisonner dessus, ni de supposer que le monde existe mais pas moi…

De cinq, si la conscience est une illusion… Pour qu’on puisse parler d’illusion, elle doit être observée. Or l’observateur de cette fameuse illusion, c’est justement ce qu’on appelle « conscience »… Si la conscience est une illusion, elle est observée par la conscience, qui, donc, existe. C’est magique. (Bien sûr, on n’est plus à ça près, on pourra encore résoudre ce problème en déclarant : « La conscience est une illusion qui s’observe elle-même. ». C’est une phrase magnifique, je vais l’imprimer, l’encadrer et l’accrocher au mur.)

De six, mon essence, mon existence, mon « âme » est plus que de la matière. Elle est plus que mon cerveau. Je suis capable de m’imaginer dans un autre corps. Mais je suis également capable de m’imaginer dans un autre cerveau. Je suis capable de m’imaginer avec d’autres souvenirs, une autre culture, un autre mode de pensée, avec d’autres goûts, un autre langage, ou pas de langage du tout. Je suis capable d’imaginer que « moi », j’aurais pu naître ailleurs, autrement, d’autres parents, être quelqu’un d’autre. Je suis capable de m’imaginer animal. Je suis capable de concevoir l’idée que « moi », ça n’est pas ma matière, et que ça n’est pas ma pensée. Et qu’il y a quelque chose d’autre que la pensée qui fait que « moi » et « toi » (si tu existes), nous sommes deux entités différentes. « Moi », ça n’est pas juste le fait de savoir ou croire que j’existe. Je suis moi depuis que je suis né (ou au moins depuis mes premiers souvenirs), il n’y a jamais eu de changement, je n’ai pris la place de personne. Ca a toujours été moi. Je le sais, ça n’est pas une illusion. (Même si la force de mes souvenirs s’estompe avec le temps, ce qui peut malheureusement semer le doute…)

De sept, Douglas Hofstadter a vraiment des goûts de chiotte. Il est biologiquement impossible de survivre avec une coupe de cheveux et une veste pareilles. Je pense que le monde n’existe pas, ça n’est qu’une illusion que Douglas Hofstadter s’est inventée. Il n’y a pas d’autres explication.

————————————————————————

Note : Je n’aborderai pas ici des hypothèses qui justifieraient que l’esprit existe en dehors de la matière. Des choses impliquant une dimension spirituelle, divine, etc. Personnellement, je rejette ces hypothèses, pour d’autres raisons. Mais ça n’est ici pas le sujet.

————————————————————————

On arrive donc à la deuxième partie de mon aventure, que ces lecture et réflexion énervantes ont provoquées chez moi.

C’est là que ça devient emmerdant.

J’avais dit, dans un précédent article, qu’il n’existe aucune preuve pour nier la véracité du solipsisme (même si cette théorie n’apporte rien en tant que sujet de débat, puisque débattre avec d’autres, c’est admettre l’existence des autres, et donc sa fausseté). Mais que si le solipsisme était vrai, alors il devrait être possible d’en trouver une preuve.

J’avais également dit, dans un ou plusieurs autres précédents articles, que la logique démontre elle-même qu’elle est limitée (notamment parce qu’en tant qu’élément de l’univers, il est impossible d’en avoir une vue et une compréhension totale, à moins de poser le paradoxe d’un élément plus grand que ce qui le contient), qu’elle ne peut résoudre les « grandes questions », lesquelles grandes questions ne peuvent aboutir qu’à des absurdités si on s’acharne à tenter de les résoudre, et que d’ailleurs rien ne prouvait la pertinence de ces grandes questions. La conscience, l’existence du monde matériel, faisant partie de ces « grands questions ». Autrement dit que la conscience, et l’existence du monde matériel ne peuvent être étudiés logiquement (ni d’aucune autre manière d’ailleurs).

Et aujourd’hui, j’ai le malheur de me rendre compte qu’on pouvait juxtaposer ces deux propositions. (Le plus incroyable étant qu’il m’ait fallu xx années pour le faire, alors que je passais constamment de l’une à l’autre. Et que cette idée m’a surement déjà traversé maintes fois l’esprit, mais sans jamais la formuler aussi clairement.)

Bref : Il existe une possibilité et une seule pour que la logique soit parfaite, sans faille, toujours vraie. C’est que le monde n’existe pas.
L’impossibilité de l’existence d’une conscience qui soit issue de la matière, et qui pourtant ne peut être autre chose, et qui pourtant est, implique que monde matériel et conscience ne sont pas logiquement compatibles.
Et comme je suis (Comme je l’ai dit et répété, il n’est pas possible qu’il en soit autrement, je suis, forcément.), si je veux rester logique, le monde n’existe pas. C’est la seule preuve (logique) du solipsisme dont j’avais besoin.

Je vous laisse imaginer l’embarras dans lequel ça m’a plongé.

D’où l’envie de tenter d’influer sur le monde, là, comme ça, par la volonté. Ou de le faire disparaître. Bon, le problème, c’est que je conduisais, et il restait un doute (Le « monde » peut-il être logique ?). Je ne pouvais pas, juste, décider de me suicider, comme ça. D’autant plus que si le monde n’est qu’une création de mon esprit, il n’est pas dit que le suicide détruise mon esprit (pas plus qu’il n’est dit que mon esprit y survive), et si le monde n’est qu’une création de mon esprit, il est certainement inutile de « simuler » un suicide pour y mettre fin. J’ai donc continué à chercher des failles, et à tenter de le plier à ma volonté.
Plongé dans ma réflexion, je suis naturellement passé par des comparaisons entre le monde « rêvé » et le monde « vécu », et donc le fait que la cohérence du monde vécu semble meilleure que celle du monde rêvé (la définition des images, la persistance des paysages, les souvenirs qui ne se contredisent pas, etc.)… mais comment en être sûr puisque le seul juge de cette cohérence, c’est moi ?
Bien sûr, toutes ces réflexions, je les ai déjà eues, des dizaines, des centaines de fois, peut-être plus. Mais bon, ça faisait une de plus.
Et bien sûr, j’en suis venu à penser à Inception, puisque ça entrait dans le sujet. (Notamment au fait que le monde « réel » a un impact sur le monde « rêvé », même lorsque je suis endormi. Ma condition dans les rêves reflète souvent l’état de mon corps endormi. Si j’ai le visage dans l’oreiller, j’étouffe. Si je suis sur le ventre, il arrive que je me rêve allongé sur le ventre sur une table en classe. Si je porte un tee shirt, j’ai moins de chances de rêver que je suis nu, etc. Le monde réel et le monde rêvé ne sont donc pas exactement de même nature.). Pas Matrix, ni Existenz, ni Total Recall, ni autre chose. Juste Inception.

Bref, je me ballade, j’entre dans le centre commercial, je le traverse, dans cette espèce d’état second, perdu dans mes pensées, ça prend plusieurs minutes, je scrute les gens en me demandant s’ils existent, s’ils vont me montrer des « failles », etc… Je traverse des couloirs…
Quelques minutes plus tard, j’arrive à la FNAC. J’entre dans la FNAC. Dans la FNAC, il y a des écrans plats de démonstration allumés qui passent en boucle tel ou tel film. Premier écran qui entre dans mon champ de vision (seul à cet instant), à l’entrée… Je crois reconnaître les acteurs, le film… Je me dis « Non, c’est pas possible… ». Je vois le titre de la jaquette posée devant l’écran. Je murmure : « Putain, la faille… ».
Je vous laisse deviner. Et je n’invente pas.

J’ai donc, naturellement, passé le reste de l’après-midi à essayer d’en trouver une deuxième, de faille. Ca n’a pas fonctionné. C’est beaucoup trop solide. Mon inconscient, chargé de gérer toute la cohérence de cette illusion, est sans doute beaucoup plus puissant que ma conscience. J’ai fini par abandonner. Tant pis, si c’est une illusion, je vivrai avec.

Ou le monde n’est pas logique.

Publié dans Chaos, Cérébralité | 5 commentaires