Archives quotidiennes : 27/08/2012 à 06H00

La pétoche des jetons de trouille   

Quand on n’est pas végétarien, qu’on a un peu réfléchi à la question et qu’on est plutôt d’accord, il reste que faire le grand saut, ça fout la chair de poule (Spéciste !), les boules (Sexiste !)… peur. Ça fout … Continuer la lecture

Quand on n’est pas végétarien, qu’on a un peu réfléchi à la question et qu’on est plutôt d’accord, il reste que faire le grand saut, ça fout la chair de poule (Spéciste !), les boules (Sexiste !)… peur. Ça fout trop peur.
Quand on n’est pas végétarien, qu’on n’a pas osé y réfléchir, et donc qu’on est plutôt pas du tout d’accord, c’est aussi parce qu’on a peur, mais ça reste inconscient.

Aux Estivales de la Question Animale, Isabelle Dudouet Bercegeay, ancienne directrice de l’Association Végétarienne de France en a fait une conférence sur le sujet. J’ai trouvé ça tout à fait intéressant, même si pour la plupart de ce qu’elle a dit, il s’agissait de choses auxquelles j’avais déjà réfléchi, mais l’avantage était surtout qu’elle avait pour sa part moultes années d’expériences et d’échanges concrets pour illustrer et clarifier son propos. Et donc, la voir formuler clairement et distinctement tout ça, et voir qu’il s’agissait de choses qui se vérifiaient parfaitement dans la pratique, ça m’a tout à fait réjoui. Voir qu’il s’agissait d’une bonne personne, antispéciste bien que le site de l’AVF ne dégage pas du tout cette image, donc sensible à l’argument premier (souvent inavoué) du végétarisme (C’est-à-dire la souffrance animale et le respect de leur vie.), mais « pourtant » réaliste, rationnelle et psychologue m’a fait un bien fou.

La retranscription de la conférence est donc disponible sur le lien ci-dessus, mais j’aurais bien aimé avoir accès à ses PDF ou un enregistrement audio aussi (J’ai eu la flemme de prendre des notes détaillées, même si ça m’a beaucoup intéressé… ). Tant pis.

Grosso modo, en résumé, elle avait décomposé les choses en un certain nombre de peurs (qu’elle avait regroupeés en blocs un peu schématiques, mais trop artificiels à mon goût. Je vais donc les éluder.). Des peurs qui empêchent les carnistes¹ ou omnivores d’admettre la justesse morale du végétarisme (donc d’y réfléchir). Ou bien qu’ayant réfléchi et senti sa justesse morale, des peurs qui empêchent de le mettre en pratique.

Les voici :
- remise en question personnelle
- peur d’exclusion
- conflit de loyauté avec les parents
- plaisir gustatif et convivialité
- difficulté de changer les habitudes
- vie sociale
- idées reçues concernant la santé

Bon, pour être honnête, je ne me souviens plus du contenu exact de sa conférence (Je ne sais pas si la retranscription écrite est très fidèle. Ça n’était évidemment pas facile pour la personne de tout retranscrire en temps réel.), mais j’ai l’impression qu’il y a une ou deux redondances. Je vais simplifier, à ma sauce, et dans un autre ordre :

1) Peur santé
Ça, clairement, puisque toute la société Française (ou presque) s’est liguée pour dire que les protéines n’existent que dans la viande (ou exceptionnellement dans le lait et les œufs), et que bref, le végétarisme (et encore plus le végétalisme²) sont dangereux pour la santé, notamment parce que, schématiquement, Ministère de la Santé et Ministère de l’Agriculture sont bons copains… (Et d’autres trucs, qu’on peut lire dans Bidoche de Fabrice Nicolino, par exemple. Mais faut pas le dire parce que ça fait conspirationniste… Enfin, suffit de jeter un coup d’œil à l’étranger pour se rendre compte qu’y a quand même des trucs bizarres dans la façon dont l’information nous arrive aux oreilles…)… Ben forcément, la peur santé, quand on n’a pas pris le temps de chercher plus d’infos, on l’a. Je ne vais pas m’étendre une énième fois. (Céréales, légumineuses, oléagineux, fruits et légumes variés, AVF, ADA, etc.)

2) Peur vis à vis des parents
Je préfère regrouper ici tout ce qui concerne les parents. Devenir végétarien, c’est forcément remettre en cause l’éducation morale que nous ont donnée nos parents, voire plus si leurs professions, pratiques et traditions sont directement liées à l’exploitation animale. C’est donc les accuser. C’est entamer l’image idéalisée qu’on a d’eux, les blesser, leur faire mal et se faire mal à soi aussi. Et c’est risquer bien sûr, le clash, la colère envers eux ou la colère de leur part. C’est un risque, donc une peur. Passer au végétarisme (au végétalisme, au véganisme) peut effectivement provoquer une crise familiale grave, surtout si le végé est profondément touché par la condition animale (et qu’il ressent donc comme une urgence de mettre fin à cette injustice où qu’elle soit commise, y compris dans sa famille) et/ou si les parents sont franchement c… conservateurs. Bref, c’est un risque, donc une peur. Ça ne m’est pas arrivé. Ça n’a pas provoqué de grand drame familial (juste quelques « irritations » au début, le temps pour eux de comprendre, de voir que j’étais sérieux et que « pas de viande », ça veut dire « pas de viande du tout »)… Je crois que ça s’était plutôt passé en douceur… Mais je dois avouer que ça commence à remonter à loin et que je commence à ne plus trop m’en souvenir. Mon coming out végétalien a été plus tendu, je crois (surtout de la part de mon frère, bizarrement…), mais là aussi, en quelques jours et quelques liens internet, c’était compris, réglé et accepté. (J’aurais peut-être dû commencer par ça, d’ailleurs. Imprimer les infos, et les avoir sur moi au moment du « coming out », plutôt que d’essayer de le faire passer en douce…). Bref, c’est chiant sur le coup, mais ça se fait, avec une famille ouverte et intelligente. J’ai eu des témoignages de végés, qui le sont devenus plus jeunes, et pour qui ça ne s’est pas passé aussi bien. Donc il y a un risque. Donc il y a une peur. C’est injuste, c’est nul, c’est un frein de plus pour une société plus éthique basé sur des motifs purement égoïstes, mais il existe. C’est triste, c’est comme ça. D’où la peur. Une peur naturelle, qui peut être dépassée si on sait à quoi on doit se préparer, et comment s’y préparer. (Informations, compréhension, psychologie, diplomatie, etc.)

3) Peur du rejet social
La peur de se démarquer, d’acquérir devant les autres l’image qu’on se faisait des végétariens : fous, hypersensibles, irrationnels, manipulés par une secte (Même pas besoin de donner un nom de secte ou de gourou : Dans l’imaginaire collectif, le végétarisme/végétalisme est une secte en soi…), déconnectés de la réalité (« sens commun = réalité »), extrêmes, ascètes, chieurs, malades, etc.
La peur des petits conflits réguliers, du besoin de se justifier (et de ne pas trouver les arguments, les premières fois), du risque de choquer, de blesser. La peur de ne plus pouvoir manger en société, au resto, ou chez les autres.
Personnellement, je m’en faisais tout un plat, mais finalement, petit à petit, par étapes, à force, on apprend à refuser la viande, et à expliquer pourquoi (et même à avertir qu’on n’en prendra pas). On assume, et on renverse l’image vers quelque chose de positif : On est quelqu’un qui a mené une vraie réflexion, qui a une foule d’arguments, qui a des valeurs morales, un certaine force de caractère, et qui a pris ses responsabilités. Et bien sûr, la durée du végétarisme appuie de plus en plus cette image. Plus le temps passe, plus ça devient simple. En 16 ans de végétarisme, oralement, je crois que je n’ai vraiment été insulté qu’une seule fois (d’une manière totalement idiote et sans colère). Trois ou quatre débats assez chiants dont je me souvienne. C’est à peu près tout.
(Pour être tout à fait honnête, je dois avouer que je n’ai pas avoué mon végétalisme à toutes mes connaissances. Officiellement -mis à part pour ma famille proche-, je ne suis toujours que végétarien. Ne parlons même pas du véganisme, personne ne connaît le mot…)

4) Peur de manque du goût de la viande
C’est vrai, la viande, y en a partout. Steak, jambon, pâtés, saucissons, blanc de poulet, miettes de thon, filet de machin et tout le bazar. Y en a partout, une demie douzaine d’animaux, mais des dizaines de préparations possibles… Et parmi tout ça, des trucs qu’on aime beaucoup. Donc quand on pense « Plus de viande ? », on pense aussi « PLUS RIEN DE TOUT CA ?!! MAIS JE VAIS MOURIR DE TRISTESSE !! ». Forcément.
Je vais vous apprendre un truc : Même sans viande, on peut encore manger ÉNORMÉMENT DE CHOSES. Et de bonnes choses. Des liens au hasard : Paf, pef, pif, pouf, puf… (J’en découvre en même temps, c’est cool… A vous de chercher la suite. Google est votre ami.)
Et je vais vous apprendre un autre truc : On n’est pas non plus obligé de cuisiner comme des dieux et tout le temps… Personnellement, hé ben… Du riz, des lentilles (différentes sortes), des pâtes (différentes sortes aussi), du tofu, du seitan, de l’houmous, du pain, des tomates, des patates, du chou, de l’aubergine, de l’avocat, des graines germées, des abricots secs, des pruneaux, des cacahouètes, des noix, des algues, des germes de blés, des laits végétaux, divers légumes, divers fruits… des tas de trucs, ce qui passe à ma portée, je mélange. Et c’est bon. Et quand je mangeais du lait et des oeufs, ben… Une pizza quatre chaussures, ça faisait bien l’affaire aussi.
Et je vais encore vous apprendre un autre truc : Si on a très peur de pas reconnaître son assiette sans le bout de viande qui doit aller sur le côté droit, on peut même y ajouter QUAND MÊME des bouts de « viande ». (Allez, oui, j’utilise le mot « viande ». Si « viande » est un mot qui permet d’enlever toute référence à l’animale, je ne vois pas ce qui empêcherait de l’utiliser pour des aliments de même texture mais végétaux.) DE LA VIANDE. Des similicarnés, comme on appelle ça, aussi. Des textures viandeuses à base de soja, de tofu, de tempeh, de seitan (pâte de blé sans amidon)… Des pâtés végétaux… Des saucisses… Et le reste.
(Et pour info, si vous vous décidez un jour, plus tard, à passer à l’étape suivante, c’est-à-dire le végétalisme, on vous rejoue la même avec les laits végétaux et les faux-mages.)
Et je vais encore encore vous apprendre un autre autre truc : Le goût s’apprend. Le goût évolue. Découvrir de nouvelles saveurs… Se passer de celles qu’on croyait gravées en nous, mêlées à tout un imaginaire, un univers inconscient qu’on avait construit autour… Un univers inconscient qui va prendre un autre parfum lorsque, dégagé de l’addiction, on aura la force de remplacer cette image par ce qui est VRAIMENT associé à la viande : La souffrance et la mort d’un animal. L’éthique remplace finalement sans problème la gloutonnerie incontrôlable. La viande perd son intérêt. Aujourd’hui, l’aspect et l’odeur de n’importe quelles viandes ne me font plus mais alors plus du tout envie.
Et je vais encore encore encore vous apprendre un autre autre autre truc : Vous êtes votre seul maître. Personne ne vous oblige à arrêter toutes les viandes d’un coup. Aucun juge spirituel ne sera là pour vous condamner à la pénitence. C’est à vous de savoir où vous allez, et à quelle vitesse. Vous voulez continuer à manger des poissons ? Vous ne voulez pas encore abandonner votre cuisse de poulet ? Pas encore, pas tout de suite… Hé bien, soit. Personne ne pourra vous en empêcher. Certainement pas les omnivores qui vous entourent. Pas même les poissons et poulets désignés. C’est comme ça, tant pis. Allez à votre vitesse. N’oubliez pas ce que vous avez décidé, ni pourquoi vous l’avez décidé, et la dernière marche sera sans doute beaucoup plus facile à monter que la première.
En ce qui me concerne, j’avais peur d’abandonner le poulet, le surimi, le thon et les sardines en boîte… Quelques jours avant mes 18 ans, je me suis autorisé un morceau de rillettes, un peu honteux mais « C’est tellement bon… ». Finalement, le poulet ne m’a pas manqué. Le surimi, je crois que je n’en ai jamais acheté. Une fois du thon ou des sardines, je crois (quand je me demandais encore si c’était si grave que ça de manger les poissons…). Pas deux, juste une. J’avais arrêté tout le reste, donc ça, ça m’a paru un petit pas grand chose, et qui était important. Au cours des deux années qui ont suivi, peut-être une demie douzaine de fois, j’en encore mangé de la viande (poulet, bœuf…) : Au resto, il n’y avait pas de choix, et je n’avais pas osé insister pour qu’on change de resto… Pression sociale… Et pendant 15 ans, j’ai continué à manger des coquillages quand mes parents m’en servaient, peut-être 3 ou 4 fois l’an. Très rarement acheté. Je n’ai jamais réussi à savoir si la sentience (sans connaître le mot, à l’époque) des coquillages posait un vrai doute. Je ne sais toujours pas. Mais puisque j’ai appris qu’ils ont des yeux, que j’ai moins peur pour ma santé, et que je me suis plus affirmé, je n’en mangerai plus.
Donc oui, ça fait 15 ans que je me suis désigné abusivement par « végétarien ». Mais vous avouerez que c’est tout de même plus facile… Et sans pression sociale, c’est bien végétarien complet que j’aurais été. (Et quoi qu’il en soit, sur les bivalves, j’ai toujours le doute de la sentience. Et je suis loin d’être le seul végane à l’avoir.)
Lancez-vous, allez à votre rythme, sachez ce que vous voulez et pourquoi vous le voulez, et vous verrez bien…

5) Peur de changer les habitudes
C’est vrai, il faut changer les habitudes. Tout changement d’habitudes, toute réorganisation fait peur.
Au resto, il faut vérifier la carte, chercher les quelques plats végétariens, et parfois même demander directement au serveur s’ils n’ont rien de végé. (Et parfois vérifier qu’ils ont bien compris que le poisson est un animal.)
Quand on se fait inviter à un repas, il faut prévenir qu’on ne mange pas d’animaux.
Quand on fait ses courses, il faut éviter le rayon bidoche et vérifier la liste d’ingrédients sur tous les plats préparés… Bon, alors là, faut que j’explique : Au début, on ne le fait pas. On regarde l’image et le nom du produit marqué en gros, et on se dit instantanément « Ah oui, ben OK, peut pas y avoir d’animal, là-dedans… ». Et au bout d’une demie douzaine de jurons (une fois chez soi devant la boîte ouverte en faisant sa popotte), on comprend que SI, les producteurs alimentaires sont des gros fils de $µ%ù£¤ de leur ~#@£¤ de £µ%§£¤$ et que OUI, on trouve des morceaux d’animaux tués, un peu partout sans aucune raison, balancés comme ça au hasard, pour le fun, parce que l’animal n’est désormais que de la matière première. Donc on prend le pli de vérifier la liste d’ingrédients avant d’acheter. Et ça devient un réflexe tout simple qu’on fait de manière automatique, inconsciemment. Et on s’en porte mieux. (S’il y avait, par exemple, écrit en tout petit dans la liste d’ingrédients : « Eau, beurre, sel, sucre, cyanure… Avertissement : Tu vas crever, mais on t’aura prévenu, tant pis pour ta gueule. », hé bien le végétarien, lui, il le sait… Et il rigole bien dans sa barbe en voyant l’omnivore d’à côté mettre la boîte dans son caddie.)
Et donc, on ne mange plus de viande. Ça veut dire que dans son frigo, on n’a plus de viande. On a quand même énormément d’autres choses, dans le frigo, mais plus de viande.
Et finalement, ben… On s’habitue et ça ne change pas grand chose.

6) Peur de la remise en question
La peur de la remise en question, c’est d’après moi le plus compliqué. C’est le plus compliqué, parce qu’on peut presque s’en passer. Mais si on s’en passe, alors on passe à côté de plein de choses, notamment de comprendre exactement pourquoi on est devenu végé. Et sans cette compréhension, parfois, on peut abandonner et se remettre à manger des animaux. On peut s’en passer en s’appuyant sur les arguments secondaires (santé, écologie, gaspillage…) et en abordant vite fait de manière abstraite la maltraitance animale. Sans réfléchir au fait de tuer, par exemple. Parce qu’on n’a pas trop envie d’y réfléchir, parce que c’est pesant, et parce que ça transformerait totalement notre vision de monde, de l’Homme et de l’éthique…
Certains omnivores la remarquent d’ailleurs tout-de-suite, cette grosse remise en question effrayante, et directement se jettent dessus pour aller jusqu’au reductio ad absurdum (Merci les Cahiers Antispécistes pour m’avoir appris ce terme…), en démontrant par des exemples absurdes qu’il est impossible d’avoir un comportement éthiquement parfait… Sauf que ces omnivores ne font que remarquer que l’univers est injuste et extrêmement complexe, pas que leur éthique actuelle est bonne et juste, pas même qu’il leur est impossible de changer simplement un de leur comportement pour rendre le monde meilleur et plus juste. Ils utilisent simplement des arguments permettant de relativiser la gravité de n’importe quel crime (ou acte d’oppression). A quoi ça sert d’arrêter d’être un salaud avec certains puisqu’on ne peut pas sauver tout le monde ?
Bref, cette porte ouverte sur la réflexion fait peur (bien qu’elle dénonce une injustice réelle et évidente), parce que l’issue de la réflexion n’est pas connue… Et c’est vrai. L’issue de la réflexion n’est pas connue. Potentiellement, pour la mise en pratique de cette réflexion, je dirais qu’elle est même infinie. Comme toutes les sciences, en fait… Non, l’homme ne saura jamais tout, mais ça ne l’empêche pas de continuer à chercher. Et l’antispécisme, accepter d’accorder de l’importance aux vies des animaux non-humains, c’est tout simplement une forme de science, de réflexion, de recherche éthique… (Sauf que contrairement aux sciences, en éthique l’Homme a la flemme de continuer à chercher. Ça ne l’arrange pas, c’est fatiguant et ça ne lui apporte à lui rien de concret.) Une recherche qui n’aura sans doute jamais de fin, mais dont l’objectif est de rendre le monde meilleur et plus juste. En commençant par les évidences : L’Homme peut se nourrir sans torturer et tuer. Sans torturer et tuer des animaux dont on observe facilement et manifestement la souffrance, le désir de vivre et l’existence mentale. Des animaux qui ont un cerveau et un système nerveux, et dont les études éthologiques prouvent de mieux en mieux leur existence mentale. Ce sont des évidences, donc commençons par celles-ci.
Mais cette remise en question, c’est aussi une remise en question terrifiante parce qu’atrocement culpabilisante : Si tuer un animal sans raison est un meurtre, alors nous sommes tous des meurtriers. Des monstres. Des serial killers psychopathes. Notre société, notre culture entière, sont basées sur le massacre de masse. Et la fameuse « nature » est elle aussi un lieu de massacres. Tout est massacre, tout est horreur. Le bien absolu n’est pas possible. Seul le mieux est réalisable. Ce serait tout de même bien plus sécurisant de considérer que la mort et la souffrance des animaux non humains sont anodines, et que seule la vie des humains (dont on fait partie, qu’on peut recenser, et qu’on arrive à soigner et protéger bien plus facilement) est sacrée. L’éthique spéciste est intellectuellement simple, facile à intégrer, rassurante, et nous offre la protection à nous-même et à nos proches³. Quand bien même elle nie la réalité. Quand bien même elle ne tient plus la route lorsqu’on se retrouve directement face à un animal non humain, un vertébré, un mammifère de préférence, les yeux dans les yeux, qu’on voit hurler, souffrir ou mourir, ou qu’on peut sauver ou éviter de tuer.
Mais remettre tout ça en cause, relativiser sur l’humanité, revoir tout ce qu’on a appris, revisiter toute l’opinion qu’on a de soi-même, et accepter l’incertitude sur ce qu’on pensait être un absolu, c’est terrifiant. Le déni et la schizophrénie empathique peuvent encore sembler préférables.
Face à la peur de la remise en question, je n’ai pas de solution à donner. Pour certains, la culpabilité et le constat flagrant de la réalité sont suffisants pour passer outre. Pour d’autres, c’est beaucoup trop lourd. Ils devront faire un autre chemin, se trouver d’autres motivations pour essayer le végétarisme en contournant cette culpabilité et cette remise en question… Et c’est plus tard, avec un peu de chance, lorsque leur pratique sera déjà en accord avec leur éthique, qu’ils seront capables de réfléchir, de réaliser et d’accepter, sans trop en souffrir.

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J’en rajoute une couche, à tous mes amis et lecteurs végé-friendly, qui se disent : « Oui, d’accord, tu as totalement raison, c’est vrai, c’est sûr… Mais moi, je pourrai jamais… J’y arriverai pas… Je suis nul-le… Mais quand même, je fais des efforts, je diminue ma consommation de viande. Et surtout du bio. »

Faire des efforts, c’est bien. Ça diminue l’impact environnemental, le gâchis. Et ça tue moins d’animaux. Et si c’est du bio (ou Label Rouge ou je ne sais quoi), ça les torture moins. Moins souvent ou moins fort. (Ça les tue quand même. Et pas gentiment. Personne n’utilise d’injection de morphine. Personne ne se contente de tuer des animaux très vieux et très fatigués, « en fin de vie ».)
C’est mieux que rien.

Sauf que devenir végétarien, ça n’est pas seulement ça. Ça n’est pas seulement diminuer sa consommation de chair animale (même si c’est le cas dans un premier temps, durant la phase de transition), et faire moins de mal. Ça n’est pas (que) réduire son impact négatif, sa culpabilité, de manière toute personnelle.
Être végétarien, devenir officiellement végétarien, le faire savoir, l’affirmer, c’est impacter la société. C’est utiliser son statut de référent moral.
Et là, j’utilise un terme que je viens d’inventer, je crois, qui est sans doute moche et con, mais que je vais expliquer : Ce que j’appelle « référent moral », c’est l’image morale de chacun d’entre nous qui sert d’exemple comportemental à l’ensemble des personnes qui nous entourent. Chaque omnivore est un référent moral qui défend le carnisme. Les enfants mangent de la viande et n’y voient pas (trop) de mal parce que leurs parents, et toute leur famille, et tous leurs amis à l’école mangent de la viande. Le comportement devient une norme morale. Ça vaut également pour tout un tas d’autres comportements : Le tri des déchets, l’économie d’énergie, la politesse, l’intérêt pour certaines causes humanitaires mais pas pour le SDF dans la rue, etc. (Mais je pourrais aussi prendre comme exemples toutes les mutations morales passées de la société : Les droits des enfants, des femmes, etc.) Tous les comportements qu’on observe chez les autres, ou que les autres affirment avoir, nous servent à nous définir moralement dans l’échelle « bon/méchant », et si besoin à nous recadrer vers la moyenne. Ne pas trop être méchant, mais ne pas trop sacrifier (ou menacer) ses intérêts personnels. La société nous sert de jauge morale. Et donc, chaque élément de la société est par lui-même un référent moral. Un référent moral qui peut d’ailleurs avoir plus ou moins d’importance selon le degré de proximité affective qu’on a avec lui, ou selon sa popularité, l’image positive ou négative qu’il dégage, etc. Dans un groupe, un végétarien affirmé, connu, visible, est donc un référent moral qui met en valeur l’idée de végétarisme et amenuise la légitimité de la morale carniste. Deux végétariens ont encore plus de poids. Trois… Quatre… Il y a fort à parier qu’à partir de 50%, la transition totale est imminente. C’est d’ailleurs ce qu’on observe : Dans notre société carniste, le passage au végétarisme d’un individu « pris de doutes » isolé prend des années. Mais plus le nombre augmente, plus le végétarisme se fait connaître, plus le nombre de végétariens dans la société semble augmenter, plus l’état d’esprit de la société change… On se met à réfléchir, le discours anti-viande prend sa place dans les médias… Tous les omnivores, presque sans exception, reconnaissent qu’il devient nécessaire de diminuer sa consommation de viande… Les végétariens sont mieux pris en compte par la restauration… Les alternatives à la viande se multiplient (simili-carnés, laits végétaux)… C’est d’ailleurs déjà bien plus avancé qu’en France dans des pays comme les USA, l’Allemagne, la Suisse, le Royaume Uni, les Pays Bas, etc 4… Je ne parle même pas de l’Inde, qui est le paradis des végétariens… Et à terme : Dans un univers à tendance végétarienne (dans le milieu punk par exemple), la situation s’inverse, c’est l’omnivore qui prend les autres comme référents, se met à réfléchir plus facilement et plus vite, et fait la transition.

Bref, chaque végétarien compte, a un impact social et fait pencher la balance du bon côté.
On a besoin de vous.

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¹ Je crois que je ne l’ai pas encore explicité dans mes articles, alors que j’emploie souvent le terme (avec une once de mépris, faut reconnaître, même si c’est pas très gentil), mais le terme « carniste » n’est pas censé être péjoratif. Ça se réfère à l’idéologie du « carnisme » qui pose comme croyance que manger de la viande est quelque chose de « normal, nécessaire, naturel », même dans des conditions de vie où ça n’est manifestement pas nécessaire à la survie. Mélanie Joy, sociologue/psychologue américaine, a défini le terme en 2001, et en parle assez clairement ici. (Même si au fond, l’idée était déjà dans l’air avant ça, puisque j’ai lu dans un papier de 1989 des antispécistes Français, le terme « viandiste » qui prenait visiblement la même définition, notamment le principe d’idéologie.). Puisque le végétarisme est l’idéologie qui dit qu’on ne doit pas tuer un animal pour le manger si ça n’est indispensable à la survie, il est nécessaire d’employer un mot pour désigner l’idéologie adverse, majoritaire, dans laquelle elle baigne, pour pouvoir distinguer celle-ci malgré son omniprésence.
² B12 (Je suis du genre hyper prudent pour mes lecteurs potentiels…)
³ Elle est d’autant plus pratique qu’elle permet à loisir de sacrifier les autres animaux, leur infliger tortures et morts sans aucune limite -à condition de ne pas les exposer publiquement-, pour les plus anodins de nos caprices.
4 Mais faut reconnaître que La France est vachement plus au point que tous les autres pays cités pour la végéphobie.
Publié dans Gribouillis, Les personnes qui ne se mangent pas. | 8 commentaires